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Vie des Mots

23 septembre 2010

Cheffe


      La féminisation de chef s'est trop longtemps limitée à cheftaine, venu de cheftain. Ce dernier ayant complètement disparu, reste un couple chef / cheftaine bancal et peu utilisable.
      Il semblerait que cheffesse ait un certain succès dans des sociétés que l'on pourrait dire coutumières. On croit peut-être prolonger ainsi la série comtesse, duchesse, princesse ; à moins que ce ne soit la série prêtresse, abbesse, papesse. D'autres féminins de ce style sont bien établis : poétesse, tigresse, bougresse. Mais l'échec de doctoresse invite à ne plus tenter d'abuser du procédé : il convient surtout aux cas où le masculin se termine par un e : comte, pape, poète.
      En Suisse, on paraît avoir opté résolument pour cheffe. Ce choix étant simple et de bon sens, suivons donc en cela, sans plus hésiter, les Suisses et les Suissesses.

 

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16 septembre 2010

i & j


      Les numérotations écrites se font usuellement en chiffres arabes. Néanmoins, depuis que l'on imprime des livres, les chiffres romains ont souvent été mis à contribution, que ce soit pour les tomes, pour les chapitres ou pour des pages à part, celles de l'introduction par exemple. Les chiffres romains prennent alors leur forme classique (I, II, III, IV, ... ), mais il peut leur arriver d'être écrits en minuscules (i, ii, iii, iv, ...). Dans ce cas, on peut même rencontrer j, ij, iij, iv, v, vj, vij, ... , où se voit qu'un i final devient systématiquement un j. Ce remplacement, purement ornemental, n'a aucune signification numérique. Au chapitre dixième de la Vie très horrificque du grand Gargantua père de Pantagruel, livres saints et chapitres sont évoqués dans ce style. Le quatre y est même écrit iiij, ce qui invite à penser que les horlogers n'ont pas toujours été les seuls à préférer à IIII à IV.

 

9 septembre 2010

Week-end


      Refaire aujourd'hui le procès de « week-end » serait sûrement vain, alors qu'il triomphe insolemment. L'instruction ne s'en poursuivra pas moins pour autant.
      Maintenir cette expression en francisant sa seule écriture n'est guère satisfaisant. Si gazole se justifie et passe bien, on ne peut pas en dire autant de ouiquende.
      La traduction mot à mot n'est pas toujours appropriée non plus. On peut partir en fin de semaine, comme on part en fin de mois ; il s'agit là d'une simple indication temporelle. Mais on ne va pas dire que l'on part en fin de semaine si l'on entend faire miroiter la goguette qu'inspire ce projet. Il y faut une tournure particulière et « partir en week-end » sert surtout à cela. Dans cet usage, le week-end c'est en quelque sorte des vacancettes. Les évoquer sous l'appellation de fin serait effectivement malvenu ; elles constituent une autre part de la vie, censément la meilleure.
      Saluons en passant les tentatives de création astucieuses, comme samanche ; ou se voulant telles, comme maine. Il en faudrait sans doute plus pour faire valoir que l'on sait profiter joyeusement de ses fins de semaine. Un jour, peut-être, quelque arbitre des modes aura l'intuition juste, dans une conjoncture faste.
       En attendant, contentons-nous de relever un petit problème grammatical à placer lors d'un repas du dimanche. Composé de deux mots dont les équivalents français sont féminins (fin et semaine), week-end est lui-même masculin. Il serait difficile de soutenir que « end », parce que neutre en anglais, serait plutôt masculin en français. Car même si l'on prétendait s'appuyer là sur une règle, celle-ci ne pourrait pas ne pas avoir d'exceptions. Or le cas qui nous occupe en constituerait clairement une puisque nombre d'amateurs de cinématographie parlent d' « une happy end ». Ne conviendrait-il pas de les suivre en disant « la week-end » ?

 

4 septembre 2010

Q


      Contrairement à d'autres, la consonne Q ne coule pas des siècles paisibles.
      Le U qui la suit fut longtemps obligatoire. Cela allait de soit en latin : le numéral cinq s'y écrit quinque, ce qui se prononce kwin'kwé. Cet accompagnement impératif n'empêchait pas de mettre Q seul à l'honneur. Dans la sobre devise S.P.Q.R., il figure à égalité avec S, P et R, alors que lui-même n'est pas vraiment l'initiale d'un mot : SENATUS POPULUSQUE ROMANUS, où « que » est collé à « populus », est une tournure d'usage bien établi pour dire « le Sénat Et le Peuple Romains ».
      La tendance historique du français à alléger les fins des mots a produit cinq à partir de quinque (cinque en italien). Le U, inutile du fait de l'absence du E final, disparut avec lui en cette occasion. Son absence ne peut s'expliquer de la même façon  pour la graphie Iraq, qui n'est en rien l'abrégée d'une forme latine : il s'agit d'un emploi de Q inventé pour transcrire des mots venus d'un certain Orient. Si le français préfère encore Irak, la forme Qatar, pour sa part, a tendance à s'imposer sur Katar. Faut-il donc préférer bourqa à bourka, ou l'inverse ?
      Non contente d'avoir trouvé l'occasion d'évacuer le traditionnel U, la modernité s'attaque aussi à la prononciation de Q. Dans le pinyin, qui est l'écriture du chinois en alphabet latin, cette lettre se prononce ch. Le nom de dynastie Qing se dit Ching, ou encore Tsing, et fut longtemps écrit ainsi chez nous ; et semblablement pour le célèbre empereur Qin. Bref, Q est ici un ch adouci.
      Qui peut dire que les aventures de cette consonne s'arrêteront là ? Il est notable, en tout cas, qu'une partie de ces évolutions (celle de quinque devenant cinq) relève sans doute de la force de l'usage chez nos lointains prédécesseurs, tandis que les autres (Qatar, Qing) résultent de choix se voulant éclairés.

 

6 juillet 2010

Ne


      Il est un emploi de ne qui peut légitimement troubler tout un chacun. Dire je crains qu'il ne vienne n'est pas la même chose que dire je crains qu'il ne vienne pas ; c'est même le contraire. Dans la deuxième phrase, ne ... pas est la négation la plus habituelle qui soit et ne n'est ni plus ni moins que sa première partie. Dans la phrase précédente, ne n'a pas cette fonction négatrice : je crains qu'il ne vienne se paraphrase en il va venir et je redoute cette venue. Nous ne faisons là que maintenir un usage des plus anciens puisque je crains qu'il ne vienne traduit mot à mot timeo ne veniat, qui a exactement même sens.
      Il est incontestablement surprenant que soit utilisé, dans une phrase entièrement affirmative quant à la signification, un mot qui, en d'autres circonstances, est une marque de négation et qui n'a donc rien à y faire. Les grammairiens le classent parmi les mots explétifs, histoire de le classer. D'aucuns y voient une pure et simple incohérence et prônent son abandon. D'autres soutiennent au contraire qu'il y a là un petit écheveau à débrouiller, mais que cela suppose de renoncer à l'idée qu'une phrase ne dise jamais qu'une chose à la fois. Tout le monde est prêt à pareil abandon s'il s'agit de prendre acte de ce que les ambiguïtés existent. Cependant il est permis de penser que l'on a affaire ici à autre chose.
      On peut comprendre, en effet, que celui qui exprime sa crainte formule, intriquée avec cette expression, celle d'un souhait : puisse-t-il ne pas venir. Ce vœu prend très logiquement forme négative quand on l'explicite, ce qui vient d'être fait. Le ne explétif peut être vu comme la réduction poussée à l'extrême de ce qu'il ne vienne pas ! Il y a deux phrases en une seule, en quelque sorte, et deux fois venir : je crains qu'il vienne, mais pourvu qu'il ne vienne pas. L'usage du ne explétif apparaît alors comme un chef d'œuvre de concision.

 

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26 juin 2010

Vingtaines


      Quarante, cinquante, soixante... septante, octante, nonante est la succession la plus simple et la plus étymologique à la fois, ce pourquoi la France l'adoptera d'ici à la fin du millénaire. Mais foin de huitante et de son goût fade de faux bon sens !
      Soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix témoignent d'un usage du nombre vingt propre à nos ancêtres, paraît-il. Compter par dizaines vient de l'usage de nos deux mains ; compter par vingtaines aurait à voir avec mains et pieds réunis. Bien que le mode d'emploi des orteils échappe encore aux recherches, le fait est que vingt fut jadis à l'honneur.
      Quarante, cinquante, soixante : pour devenir de bons Gallo-Romains, nos ancêtres durent peut-être renoncer à deux-vingts, deux-vingt-dix, trois-vingts. Quatre-vingts traduit en tout cas un esprit de résistance que Belges et Helvètes n'ont pas jugé indispensable d'entretenir. Deux pieds plus loin, il impose un quatre-vingt-dix d'une lourdeur très réussie.

 

11 juin 2010

Histoire


      Le célèbre Museum National d'Histoire Naturelle a été créé par la Convention et la non moins célèbre Histoire Naturelle du comte de Buffon avait commencé de paraître dès le milieu du siècle. Si chacun des deux participait à un grand renouvellement, le mot « histoire », au contraire, se fossilisait pour une part.
      Comme son ancêtre grec historin, il avait servi à désigner toute enquête menée avec soin en vue d'accroître un savoir ; désignant la recherche elle-même, il pouvait aussi servir à nommer le rapport qui en exposait les résultats. Si les Histoires d'Hérodote racontent la Perse et les guerres médiques, l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien traite de géographie, des minéraux des végétaux et des animaux. Au XVIIe siècle, François Bacon, philosophe et grand chancelier d'Angleterre, écrivit une Histoire du règne du roi Henri le septième et, tout aussi bien, une Histoire des Vents. Puis le mot servit de plus en plus à désigner une description du passé et de moins en moins une description de la Nature. Cela lui valut de gagner une majuscule, comme d'autres une couronne : l'Histoire est l'un des grands acteurs de ce monde chez moult penseurs des tout derniers siècles, certains lui attribuant un sens, certains une fin.
      Pour l'essentiel, le sens de ce mot s'est néanmoins spécialisé, contrairement à ce qui arrive à tant d'autres, et la moitié savante de nos âmes doit se tenir contente de ce gain de précision. Il n'y a plus qu' « histoire naturelle » pour rappeler que le mot n'était en rien réservé, au départ, à la description de ce qui passe, et les exquises effluves surannées qui l'accompagnent là peuvent convenir à la moitié poétique de nos âmes.

 

17 mai 2010

Antisémitisme


      Il a été fait remarquer bien des fois combien il est déplacé d'employer « antisémite » pour exprimer une animosité à l'égard des Juifs puisque le groupe sémite comporte d'autres peuples, dont les Arabes. Le mot apparut il y a un peu plus d'un siècle, venant sans doute d'Allemagne. Quoi qu'il en soit, son emploi est des plus inappropriés ; des Juifs aussi bien que des Arabes le rappellent eux-mêmes à l'occasion.
      On connaît la solution qui est d'employer « antijudaïque ». On hésite néanmoins à la pratiquer, en partie par inertie, en partie parce que naguère encore certains tenaient à le réserver pour exprimer l'adversité à la seule religion juive. Y a-t-il lieu de maintenir cet emploi, qui a pour conséquence que les Arabes ne seraient pas des Sémites comme les autres ? Il n'est pas impossible que la relation de la judéité à la religion juive n'ait pas encore été encore clarifiée avec un degré de précision susceptible de satisfaire tous les esprits scrupuleux. Mais le problème proprement religieux, qui était surtout le fait de l'Église catholique, a bien perdu de son importance. N'hésitons donc pas à utiliser « antijudaïsme » à propos du peuple et laissons les spécialistes des questions religieuses trouver une autre formulation.


12 avril 2010

Formes négatives


      Toute négation impose-t-elle la présence d'un « ne » ? Nullement. Le parler relâché sait d'ailleurs s'en passer : c'est pas possible. Ce relâchement est bien visible dans l'écriture internétique. Il peut certes surgir au cœur même d'une grande et noble ambition : « C'est pas la gauche, la France ! C'est pas la droite, la France ! ». Nul ne peut nier malgré tout que relâchement il y a là.
      Il n'est pas impossible, d'ailleurs, que certains francophones distraits s'imaginent que des mots comme plus, aucun ou jamais soient porteurs en eux-mêmes de la négation ; comme si jamais avait à lui seul le même sens que ne ... jamais et que le ne fût par conséquent superflu. Si jamais d'aucuns le croyaient, il conviendrait de leur démontrer qu'il n'en est rien. Et pour ce faire, un rien devrait suffire. Car un rien, c'est pas rien !

 

30 mars 2010

Philie


      Lorsque la pédophilie est devenue un grand thème de société, certains ont essayé d'attirer l'attention sur le caractère discutable de la composition du mot. La racine « pédo », renvoie à juste titre à l'enfance. La « philie » c'est l'amitié (anglophilie) ; pour le moins doit-il y avoir, à défaut d'amitié, de l'intérêt (philosophie, haltérophilie). Quand l'amitié tend à devenir amour, il s'agit essentiellement de sentiment (philanthropie). Une attirance physique plus ou moins indépendante de ces sentiments s'exprime autrement ; en principe par le suffixe « éraste », évocateur du dieu Éros. L'objet étant l'enfant (pas nécessairement de sexe masculin), le mot juste est plutôt « pédéraste » ; il a été suffisamment dit qu'il n'a pas à servir de synonyme pour « homosexuel » et les usages en tiennent compte. Si l'on veut marquer un caractère compulsif, maladif éventuellement, la bonne racine est « manie » : « pédomanie », « zoomanie » sont des mots à activer.
      Il est vrai que la terminaison « philie » servait depuis pas mal de temps déjà pour désigner diverses tendances sexuelles ou diverses perversions (zoophilie, coprophilie). Que la faute de vocabulaire constituée par l'emploi ici dénoncé de « pédophilie » eût des antécédents n'est pas une excuse recevable.

 

13 mars 2010

Cogitoir


       Les observateurs de la vie internationale butent sur la traduction à donner au mot composé « think tank ». Il est utilisé dans les pays anglo-saxons, et ailleurs désormais, pour désigner les organismes qui consacrent leurs travaux à des analyses et à des projets de quelque ampleur, politiques ou économiques notamment. Ces organismes se situent généralement en dehors des administrations et des universités. Parmi les plus connus figurent la Commission Trilatérale, la Rand Corporation ou encore le Council on Foreign Relations.
      Comme souvent la traduction mot-à-mot est inepte : « réservoir à pensée » atteint même le grotesque. Les appellations classiques d'institut, de centre, de fondation, de cercle conviennent à certains think tanks, mais aucune n'est appropriée en toutes circonstances ; et dans bien des cas cénacle serait le bienvenu.
      Si l'on estime qu'aucun mot ne convient, parce que chacun a quelque chose de trop particulier, soit on en crée un tout nouveau, soit on en emploie plusieurs. De la Rand Corporation on peut effectivement dire que c'est un institut et de la Trilatérale que c'est un cénacle. Si l'on préfère tenter la voie malaisée du mot unique, autant commencer par s'amuser. Puisqu'il y a des ouvroirs, pourquoi n'y aurait-il pas des cogitoirs ?

 

8 mars 2010

Phobie


      Un mot comme « xénophobie » est employé en dépit de l'étymologie. Ceci vaut a fortiori pour « homophobie », qui est relatif à la sexualité alors que ce n'est le cas d'aucune des deux racines qui le compose. Ce qui nous retiendra ici est que, dans ces deux mots, « phobie » est utilisé en suffixe pour exprimer la détestation : le xénophobe serait celui qui hait l'étranger. Or la racine, en grec, signifie la peur, ce qui n'est pas la même chose. La psychiatrie a maintenu ce sens, qu'il n'y a aucune raison d'abandonner : la claustrophobie est la peur de l'enfermement. On conçoit bien le glissement sémantique qui a pu faire passer de peur à haine : à craindre quelque chose on en vient à la détester. Est-ce une raison pour que le jardin soit mal tenu ?
      La racine qui exprime la détestation est « misie », présente dans « misanthrope » (qui déteste l'humain) et dans « misogyne » (qui déteste la femme). À la place d' « homophobe », il faudrait pouvoir dire « homosexuellomise » ; mais il y faut une patience d'Allemand. Au-lieu de « xénophobe », au moins, nous dirons désormais « xénomise ».

 

11 janvier 2010

Réfuter


      Depuis toujours « réfuter » s'emploie essentiellement pour dire que l'on prouve la fausseté d'une assertion, d'une thèse ou d'une théorie. Et prouver, c'est prouver ; ce n'est pas seulement tenter de prouver. Or le verbe « réfuter » est assez souvent employé depuis quelques temps dans un sens qui n'est même pas celui de « tenter de prouver la fausseté ». On lit qu'un tel, accusé de quelque chose, a réfuté cette accusation, pour dire qu'il l'a seulement rejetée ; comme s'il suffisait de nier pour prouver. On lira même que telle personne a réfuté tel propos, pour dire qu'elle a seulement exprimé un désaccord.
      Cette évolution n'est pas bonne. Le nouvel emploi du mot ne correspond à aucun besoin. Il induit un risque de confusion qui, dans certaines circonstances, pourrait être de grande portée. Dans les domaines où l'on s'attache à bien établir la vérité, le scientifique ou le judiciaire, nier ne saurait suffire à réfuter.
      Cette dérive est le fait de journalistes, de décideurs, parfois même d'universitaires, bref de gens qui ont du poids sur les usages langagiers. Quel que soit leur prestige, il faut leur refuser ce laisser-aller, cette pente à la confusion des idées sur un point aussi sensible.

 

23 décembre 2009

Vieilles lettres


      En lisant des textes imprimés il y a quelques siècles, on achoppe sur le dessin de la lettre s qui la fait ressembler à un f, au point qu'il est tentant de croire qu'il s'agit de la même. Il est vrai que, pour se convaincre qu'il n'en est rien, une loupe est presque nécessaire. Dans le cas du f, la petite barre horizontale traverse la verticale de part en part ; dans le cas du s, elle n'est présente qu'à gauche de la verticale. N'apportant que confusion, cette ressemblance excessive ne mérite aucun regret.
      Un autre usage périmé concerne i et j. L'emploi de ces deux lettres peut ne pas correspondre à la différence de prononciation qui est la nôtre. On trouve par exemple ie pour je ; le i s'y prononçait pourtant j, d'après ce que l'on peut savoir, ce qui conduisit d'ailleurs à l'écrire autrement ; c'est ainsi que fut inventée la lettre j.
      Une autre distinction était inconnue du latin classique : celle de u et de v. Chacune de ces graphies a fini par se spécialiser, l'une correspondant à une voyelle et l'autre à une consonne. Ainsi s'explique la divergence que tout le monde connaît depuis l'an deux mil au moins : la lettre w,connue chez nous comme étant un double v, se nomme double u chez d'autres.

 

14 novembre 2009

Maximum, concerto et panini


      Les observations que voici portent sur des subtilités telles qu'on les aime dans les déjeuners de famille ou d'amis. Elles permettent de mettre de l'ambiance à partir de dix fois rien.

      Lorsqu'un aéroplane cesse de monter et se prépare à descendre, son altitude passe par un maximum. Convient-il de dire que son altitude est alors maximum ? Autrement dit, le même mot est-il à la fois nom et adjectif, chose qui arrive à d'autres (blanc, le blanc) ? Sans que l'usage en soit tout à fait fixé, la tendance est maintenant à employer maximal comme adjectif. Et de même, bien sûr, avec minimum / minimal, ainsi qu'avec extrémum / extrémal.
      Quel est le bon pluriel pour maximum et pour ses congénères ? Des maximums, selon l'usage français le mieux établi, ou des maxima, sous prétexte de fidélité au latin ? Le problème est le même que pour concerto : des concertos, ou des concerti ?
      Dans le cas d'extrémum on pourrait dire qu'il faut choisir entre extremum / extrema d'une part, extrémum / extrémums / extrémal d'autre part. Francisons sans baraguigner, ou bien latinisons pour de bon. Le problème est le même que pour scénario : un scénario / des scénarios, ou bien un scenario / des scenarii. Respecter l'origine, ici latine ou italienne, relève d'une louable intention à l'égard de la langue-mère et de la langue-sœur, mais, puisque l'on s'y retrouve coincé, mieux vaut franciser.
      C'est en d'autres occasions qu'il serait séant de faire preuve de plus de respect. La langue française a créé le panini, et il n'y a pas de quoi s'en vanter ; rappelons, pour qui ne connaîtrait pas les terminaisons de l'italien, que panini est le pluriel de panino (petit pain, pain fourré, sandwich).

      Bonnes agapes.

 

12 juillet 2009

Alinéa


      Dans un texte qui entend être aisé à lire, chaque paragraphe doit être bien visible. On doit les percevoir sans même les chercher des yeux. Il y a plusieurs manières de marquer un changement de paragraphe : aller à la ligne en est la principe ; mais cela ne suffit pas. Au cours des siècles, on a donc pratiqué divers compléments : commencer le nouveau paragraphe par une lettrine bien visible, ou bien laisser une ligne blanche entre les deux, ou encore commencer le second par un alinéa.
      Cette dernière solution est aussi efficace que simple. À proprement parler, « alinéa » évoque le seul fait d'aller à la ligne. En pratique, le mot désigne le petit retrait que l'on ménage au début de la première ligne du nouveau paragraphe. C'est lui qui fait tout pour rendre visible le début d'un nouveau paragraphe.
      Aller à la ligne demande ce minimum d'élégance.

 

22 mai 2009

Logie


       La géographie est description de la Terre, physiquement autant qu'humainement. La géologie est science de la Terre et plus spécialement de sa constitution physico-chimique. La première est science, elle aussi, mais plutôt du particulier ; on doit pouvoir avancer sans trop se tromper que la seconde est un peu plus science du général. À tout le moins, le suffixe « logie » marque que cette manière d'étudier la planète entend tenir son rang dans le gratin des sciences. L'astrologie n'a plus cette prétention en tant qu'étude des astres : il a fallu se rabattre sur « astronomie » pour nommer la vraie science.
       Au XXe siècle est apparu « technologie ». Conformément à l'étymologie, cette étude est avant tout celle des techniques et des métiers. Dans les faits il en va autrement : en toute circonstance où l'on juge habile de faire valoir une technique, rien de tel que d'en parler comme d'une technologie. Finies les biotechniques, place aux biotechnologies. Il est vrai que le progrès de bien des techniques repose désormais sur des études et sur un savoir pointus, en bonne part scientifiques.
       Une autre déviation, elle sans excuse aucune, est celle de « méthodologie ». La méthode, c'est la manière réglée et consciente de cheminer, dans l'ordre intellectuel tout particulièrement, la plus illustre étant la méthode scientifique. La méthodologie est donc, en principe, l'étude des méthodes, par exemple pour les comparer. Or la pédagogie, la conduite des entreprises et moult autres activités regorgent depuis peu de méthodologies, qui ne sont jamais que des méthodes. Aux besogneux la méthode, aux experts la méthodologie !
       L'appel au suffixe « logie » pour se pousser du col n'a d'ailleurs pas attendu le siècle dernier. L'emploi de « terminologie », afin d'éviter le trop commun « vocabulaire », a déjà quelques siècles ; même « lexique » n'est pas à la hauteur dans la tâche. Ainsi va l'humain.

 

25 avril 2009

Bouffodrome


       Lorsque le fast-food états-unien débarqua et nous libéra de notre lenteur, les commissions de terminologie produisirent la traduction que l'on pouvait attendre d'elles, une traduction qui leur ressemble, bien basse de plafond. Puisque « fast » et « food » signifient rapide et nourriture, allons-y pour « restauration rapide »...
    Or on ne peut pas dire que l'expression évoque merveilleusement l'industrialisation et la dynamisation de l'acte de se nourrir. Rien à voir avec fast-food, qui est l'image même de la pratique Amérique entraînant le monde vers une globalité joyeuse. Et quelle balourdise quand il s'agit de développer une famille de mots ! Irai-je me restaurer rapidement ? Dînerons-nous dans un restaurant rapide ? Êtes-vous amateur de restauration rapide ?
     Les partisans de « bouffodrome » sont peut-être des drôlins et leur proposition ne risque pas de faire tache d'huile dans nos textes législatifs. Mais au moins dispose-t-on là de bouffodromie, bouffodromique, bouffodromal, bouffodromisant, bouffodromer, bouffodromeux, bouffodromaire,  bouffodrophile, bouffodromise, bouffodroméraste e tutti quanti.

 

13 avril 2009

Collapse


      En anglais le nom et le verbe « collapse » expriment l'idée d'effondrement. L'origine en est le latin « collapsus », qui a ce sens, marqué par l'idée d'affaissement. Et en tant qu'anglicisme, disent certains de nos dictionnaires, « collapse » désigne une mauvaise tournure que peut prendre le séchage du bois. La Faculté préfère « collapsus » pour nommer un type d'effondrement physiologique. Il n'est pas mauvais, en effet, que la langue médicale conserve des formes latines, qui sont autant de preuves d'un savoir rassurant.
      Ces emplois ont quelque chose d'étrangement timide car, même si le français dispose déjà du mot « effondrement », le langage le plus courant peut avoir besoin de doubler ce dernier par un mot qui exprime une variété ou une nuance, que l'on réserve le nouveau à ce qui se produit à l'intérieur, comme dans le cas du bois et de l'organisme, ou qu'il serve à distinguer les effondrements spontanés de ceux que l'homme provoque, ou pour toute autre raison. Le cas échéant, le latin « collapsus » fournirait « collapse », aussi naturellement que « templum » a donné « temple ».
      Messieurs les Anglais ayant procédé les premiers à cette adaptation, nous leurs reconnaîtrions de bonne grâce l'antériorité. L'emploi de « collapse » dans notre langue, malgré sa véritable origine, pourrait ainsi continuer de passer pour un anglicisme. Il est le bienvenu comme tel puisqu'il rejoint tous ceux qui enrichissent le français dans le respect de ses sonorités, comme l'ont fait « paquebot » et « addiction ». Comme ce dernier, « collapse » entrerait, plus précisément, dans la catégorie des faux anglicismes, laquelle voisine la catégorie latine des faux imparisyllabiques au catalogue des ruses de la grammaire.
      En dépit des protestations à attendre de la part des étymologues, le nom « collapse » s'accompagnerait bien sûr du verbe « collapser » : « telle banque a collapsé » a quelque chose de plus propre que « la banque s'est effondrée », qui évoque un peu trop poussières insanes et gravats vulgaires.

 

2 avril 2009

L'apostrophe


      L'apostrophe, jolie virgule volante a-t-on dit, a pour fonction principale et première de marquer l'élision : « l'élision », justement, pour éviter le déplaisant hiatus de « la élision » ; ou bien, comme avec « manif' », pour faire bref. Les règles de son emploi connaissent des exceptions : « l'un, l'une » se disent et s'écrivent « le un » lorsque l'on parle du nombre et « la une » pour les journaux. Il s'observe aussi d'étrange hésitations collectives : on dit assez systématiquement « la onzième heure », mais sans bonne raison en vérité. La preuve en est que c'est « près d'onze heures » qu'on a des chances de rencontrer Edmond Teste près de la Madeleine.
      À côté des négligences courantes telles que « manif », on subit de véritables privations d'apostrophe, aux justifications bien discutables. Sur les affiches se donnent à lire des tournures telles que « un film de Éric Untel ». L'absence d'élision est normale en cas de passage à la ligne : un film de Éric Untel. On peut aussi concevoir une intention de marquer une césure, de faire valoir le nom en le dégageant par une suspension : écrire « un film de Éric Untel » correspond presque à l'élocution « un film de... Éric Untel ». Mais ne faut-il pas craindre qu'autre chose ne soit en train de s'insinuer là, sous prétexte d'on ne sait quel respect des noms propres ? Va-t-on en venir à écrire « les Propos de Alain », « le théorème de Alembert » ? D'une manière incontestable en tout cas, on observe l'expansion d'une grossière erreur : des graphies telles que « va-t'il » se mettent à pulluler. Plus courante est d'ailleurs la variante « va t'il », qui laisse soupçonner une confusion avec « va t'en ». On savait que je est un autre et voilà que tu n'est plus celui que l'on croyait !
      L'apostrophe peut être négligée sans inconvénient dans les abréviations les plus familières : dans un mail ou sur un blog, un prof ne dérogerait pas pour avoir écrit « manif ». Dans certains cas elle est pourtant bien nécessaire : si on l'omet pour « un néocons', des néocons' », le lecteur risque d'oublier de prononcer le « s », surtout au pluriel. Or « des néocons » a des allures d'injure : on a l'air de dire « des néoc... ». Plus que nécessaire enfin, l'apostrophe est absolument indispensable, pour les raisons que l'on sait, en tête de « 'Pataphysique ». Et, les choses étant ce qu'elles sont, quels mots reste-il pour qualifier celle de « 'Pataphynance » ?


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