L'apostrophe
L'apostrophe, jolie virgule
volante a-t-on dit, a pour fonction principale et première de marquer l'élision :
« l'élision », justement, pour éviter le déplaisant
hiatus de « la élision » ; ou bien, comme avec « manif'
», pour faire bref. Les règles de son emploi connaissent des
exceptions : « l'un, l'une » se disent et s'écrivent
« le un » lorsque l'on parle du nombre et « la une »
pour les journaux. Il s'observe aussi d'étrange hésitations
collectives : on dit assez systématiquement « la onzième
heure », mais sans bonne raison en vérité. La preuve en est que c'est
« près d'onze heures » qu'on a des chances de rencontrer
Edmond Teste près de la Madeleine.
À
côté des négligences courantes telles que « manif »,
on subit de véritables privations d'apostrophe, aux justifications
bien discutables. Sur les affiches se donnent à lire des tournures telles que
« un film de Éric
Untel ». L'absence d'élision est normale en cas de passage à
la ligne : un film de Éric
Untel. On peut aussi concevoir une intention de marquer une césure,
de faire valoir le nom en le dégageant par une suspension : écrire
« un film de Éric Untel
» correspond presque à l'élocution « un film de...
Éric Untel
». Mais ne faut-il pas craindre qu'autre chose ne soit en train de
s'insinuer là, sous prétexte d'on ne sait quel respect des noms
propres ? Va-t-on en venir à écrire « les Propos de Alain »,
« le théorème de Alembert » ? D'une manière
incontestable en tout cas, on observe l'expansion d'une grossière
erreur : des graphies telles que « va-t'il » se mettent à
pulluler. Plus courante est d'ailleurs la variante « va
t'il », qui laisse soupçonner une confusion avec « va
t'en ». On savait que je est un autre et voilà que tu
n'est plus celui que l'on croyait !
L'apostrophe peut être négligée sans inconvénient dans les
abréviations les plus familières : dans un mail ou sur un blog, un
prof ne dérogerait pas pour avoir écrit « manif ». Dans
certains cas elle est pourtant bien nécessaire : si on l'omet pour
« un néocons', des néocons' », le lecteur risque
d'oublier de prononcer le « s », surtout au pluriel. Or
« des néocons » a des allures d'injure : on a l'air de
dire « des néoc... ». Plus que nécessaire enfin,
l'apostrophe est absolument indispensable, pour les raisons que l'on
sait, en tête de « 'Pataphysique ». Et, les choses étant
ce qu'elles sont, quels mots reste-il pour qualifier celle de
« 'Pataphynance » ?