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Vie des Mots

8 mars 2009

Intelligence


      Intelligence n'est pas de ces mots qui laissent indifférent. Son apparition peut éveiller l'intérêt et la curiosité, parfois déclencher la fascination, ou au contraire susciter la méfiance, voire les sarcasmes. Mais trêve de littérature. Que noter à son propos ?
      On sait que, dans notre langue, il désigne quelque chose d'à peu près impossible à définir de façon satisfaisante. Remonter à la source latine n'apporte qu'un éclairage partiel : inter-ligere, établir des liens entre (les choses, les faits , les idées) ; or l'intelligence, au sens le plus habituel du terme, ne se limite pas à cela.
      D'autres nations sont allées, à ce que l'on dit, jusqu'à monter un Service de l'Intelligence. Comment de vrais gentlemen auraient-ils pu se relâcher au point de faire valoir leur intelligence avec autant d'outrecuidance ? En réalité, le choix de se mot est un habile piège à grenouilles, une perfidie de plus penseront même certains. Que dans ce cas le mot désigne le Renseignement, et non la puissance cérébrale de l'individu, est moins surprenant lorsqu'on songe qu'il se dit parfois « avoir l'intelligence des choses ». Et le Renseignement, après tout, à cela pour finalité. En prenant les mots par ce biais, on supporte un petit peu mieux de savoir qu'il se développe en nos contrées une intelligence économique ; d'autant que par les temps qui courent, ça pourrait servir.


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27 février 2009

Les noms étrangers


      La francisation des noms étrangers allait de soi au temps de la splendeur des Rois Très Chrétiens : les formes Turin, Titien et même Jean Képler en sont des témoignages. Avec la bizarre prononciation anglaise, on ne se donnait pas de gants : Buckingam était Bouquincan.
      Les choses ayant changé, on respecte mieux les prénoms : Dennis, Javier et Tony deviennent rarement Denis, Xavier et Tonio. On met d'ailleurs son point d'honneur à montrer que l'on sait prononcer toutes les langues, et pas seulement celle de Shakespeare reconvertie en langue de Wall Street. Sur nos radios cultivées, on se pique de gutturaliser juste : Bach, Hamas, Charm-el-Cheikh. Ce sont là autant de marques de politesse à l'égard des étrangers, bienvenues à ce titre.



16 février 2009

Athéna aux yeux pers


      On parle d'Athéna aux yeux pers, mais jamais de Minerve aux yeux pers. Comment sait-on, d'abord, qu'Athéna a les yeux pers ? Pers, c'est-à-dire d'un bleu sombre et tirant vers le vert, à ce que l'on dit. Les dictionnaires nous apprennent que ce mot vient de « persan ». Il qualifierait un certain bleu, comme il y a aussi un bleu de Prusse. Pourquoi Athéna n'aurait-elle donc pas les yeux prus ? Et surtout, que viennent faire les Persans à propos des yeux d'une déesse née bien avant leur première chabanou ?
      Les érudits nous aident. Athéna est dite glaucopide dans les textes grecs. De glaucos et d'ops. La seconde racine désigne les yeux en tant que regardant ; mais que signifie la première ? C'est là que quelque chose se noue. Glaucon est un des mots qui désignent la mer, à côté de thalassa. Le propre de glaucon est de l'évoquer dans son aspect coloré. Comme la changeante mer, le mot a pris deux sens différents : il peut vouloir dire brillant, mais également bleu-vert sombre. Ce deuxième sens est passé dans notre adjectif « glauque » qui évoque bien le côté sombre, un peu inquiétant de la mer. En grec, ce n'est que l'un de ses sens.
      Plongens-nous dans la mer des mots grecs. On y trouve aussi le nom glaux, qui désigne, étrangement, l'oiseau d'Athéna : la chouette. L'explication, en fait, part de là. Athéna est dite par Homère « aux yeux de chouette » parce que cet animal, voyant la nuit, perce les ténèbre de son regard. Or l'esprit d'Athéna en perce des ténèbres. C'est donc très compréhensiblement qu'elle fut qualifiée de glaucopide, de clairvoyante. L'adjectif utilisé, glaucos, faisait allusion aux yeux de l'animal parce qu'il leur était attribué d'être brillants, comme la mer sous le soleil, et que cette brillance était censée expliquer leur vertu nocturne. Héra, semblablement, est dite aux yeux de génisse, par allusion à leur douceur.
      Il faut croire que quelque traduction fit basculer de brillant à bleu-vert le sens attribué au glaucos présent dans « glaucopide ». Athéna devint ainsi une déesse aux yeux bleus. Mais pas n'importe quel bleu : un de ceux qui devaient être à la mode à l'époque de la traduction : un bleu de Perse, disait-on sans doute. Le mal était fait ; on n'y vit plus clair du tout. Le traducteur, faut-il croire, était bien puissant pour influencer toute l'Europe et tous ses humanistes. La bonne déesse n'aurait-elle pas eu des ennemis bien en place ? Sa clairvoyance ne faisait-elle pas de l'ombre à quelque autre dieu ?
      Minerve, de son côté, ne pouvait être glaucopide parce que ce jeu de mot est intraduisible en latin. Voilà pourquoi elle n'a pas les yeux pers.


 
6 février 2009

Biscotte et triscotte

 
      Les jeunes générations seront peut-être surprises d'apprendre que le biscuit n'est pas, dans son principe, un petit gâteau sec plus ou moins sucré, ou du moins pas tout à fait. À voir les rayonnages des magasins, il y aurait les biscuits, sucrés par nature, et les biscuits salés, exceptions destinées sans doute à confirmer la règle. Mais l'essentiel n'est pas là.
      Le biscuit, dans son principe, est ce qui a subi deux cuissons : bis-cuit. C'est le cas des produits qui viennent d'être évoqués. Pour les marins et les soldats d'antan, le biscuit était la portion de nourriture à conservation assurée ; car telle est la vertu principale de cette recuisson. Et c'est pourquoi « biscuit » désigne également un genre de statuette de salon en porcelaine, très prisé au XVIIIe siècle.
      On connaît d'ailleurs la biscotte, tranche de pain dont il devrait être permis de dire qu'elle a été biscuite. Une firme portée à l'innovation, source de toute richesse moderne paraît-il, avait aussi inventé la triscotte. Il semble qu'il faille parler d'elle au passé car on se plaint sur la Toile de ce qu'elle aurait disparu. Était-elle véritablement tercuite ? Admettons-le et concentrons-nous sur le '' s '' inclus dans le mot. Selon l'étymologie, il n'est pas le bienvenu : on dit triangle et non trisangle. Mais qui aurait aimé manger de la tricotte ou de la tercotte, hormis quelques latinistes fanatiques ? En se modelant sur « biscotte », l'astucieux « triscotte », imposait l'idée que la triscotte, c'était de la biscotte en mieux.
      Dans la course à l'innovation et à la conquête des marchés, pourquoi d'ailleurs s'arrêter à trois ? Ne prônons pas la poursuite fastidieuse de l'escalade (quadriscotte, etc.) ; évitons aussi l'ennuyeuse platitude de « pluriscotte ». Inspirons-nous plutôt de l'heureuse mode qui, ces dernières années, a sorti « perdurer » du fin fond des dictionnaires. Au-delà du biscuit, le percuit ! À quand la perscotte, biscotte en mieux encore ?


 
31 janvier 2009

Kilogone et Irak


       Qui se plonge dans les Méditations métaphysiques sait que, au début de la sixième, Descartes évoque l'idée du pentagone, c'est-à-dire d'un polygone ayant cinq côtés et donc cinq sommets. Afin de bien montrer qu'imaginer est une chose et que concevoir en est une autre, il confronte cette idée à celle du chiliogone, c'est-à-dire d'un polygone à mille côtés.
      Plutôt que « chiliogone », il arrive que les éditeurs choisissent d'écrire « chilogone », sans doute pour se rapprocher de « kilogone », graphie qui nous paraît plus normale. Or l'origine est bien le mot grec « chilioi », mille. Le ch y est dur : il se prononce k, comme dans « charisme », « chiromancie » et « chiral » ; « chirurgien » et « chimie » n'étant que de regrettable déviances.
       L'écriture « chiliogone » est donc la plus conforme à l'étymologie et « chilogone » sent l'hésitation. Une modernisation en « kilogone » relèverait, quant à elle, du plus parfait laisser-aller, ou alors d'un esprit révolutionnaire achevé. Les inventeurs du système métrique, dans leur volonté de décimaliser toutes les mesures, choisirent manifestement une graphie compréhensible par tous. Ils utilisèrent '' k '' pour traduire le '' ch '' dur, le bon vieux chi. Au moins eussent-ils dû écrire « kilio ». Le préfixe « kilo » se trouve ainsi être infidèle au grec, et par le '' i '' manquant avant le '' o '', et par l'intrusion du '' k ''.
       En sens inverse, on voit maintenant le '' k '' de certains noms évincé par un '' q ''. On sait bien que la langue latine et ses dignes filles font toujours suivre un '' q '' par un '' u '' ; un mot comme « cinq » n'étant qu'une apparente exception puisqu'il vient de « quinque ». Or il s'observe que « Irak » est parfois écrit « Iraq », à l'anglaise ; et que « al-Kaïda » est assez systématiquement écrit « al-Qaïda », à la rien du tout, juste pour la touche d'orientalité. Ces substitutions antilatines ne vengent certes en rien le grec de la double infidélité faite à « kilo ».


 
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21 décembre 2008

Apriori


      Les expressions « a priori », « a posteriori », « a fortiori » font toujours bien dans le tableau ; du moins tant qu'un accent grave sur le « a » ne vient pas tout gâcher, car le latin n'en veut point. La première des trois est aussi utilisée comme nom. Il est admis que l'on puisse avoir un a priori, ou des a priori, à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose. Dans cet emploi, la soudure serait justifiée, sans même passer par l'étape superflue du trait d'union : pas d'a-priori, mais un apriori, des aprioris.
      Dangereuse révolution ? Subversion insidieuse ? L'expression « a parte », venue de l'italien, a déjà fait cette mue : depuis longtemps on écrit un aparté, des apartés, sans trait d'union et sans accent grave, mais avec accent aigu ; et le « s » est bien accepté de l'Académie.
      Pourquoi donc n'aurait-on pas également des apostérioris à l'égard des gens et des choses ? Même pour « afortiori » on saura bien trouver une utilisation


 
16 novembre 2008

Voire même


      Les gens cultivés ne confondent pas « voir » avec « voire », et les gens très cultivés se reconnaissent, entre autres, à ce qu'ils évitent « voire même » ; les traités des bons usages nous rappellent, en effet, que c'est un pléonasme. Une fois ceci retenu, et pour ne être pris pour dernier des ploucs, on parsème ses propos, et sourtout ses écrits, d'élégants « voire ».
      Lorsque, non content de passer pour un esprit très cultivé, on cultive un certain mauvais esprit, on en vient à s'interroger sur ce mot, qui se termine par un e dont les érudits nous apprennent qu'il ne l'avait pas en ancien français, et dont on ne sait pas de quel mot courant on pourrait le rapprocher si ce n'est du verbe « voir ». D'éminents étymologues expliquent que « voire » vient du latin « verus », qui a surtout engendré « vrai ». En fait, « voire » fut d'abord utilisé en adverbe, comme synonyme de « vraiment ». Puis, au cours des siècles, ce sens s'est perdu et a été remplacé par celui de « et même ».
      Comme il ne saurait être question de passer pour incultes, évitons donc « voire même ». Mais que serait un monde dans lequel les règles ne connussent point d'exceptions ? Dans les occasions où l'on choisirait de passer pour inculte aux yeux des cultes, quel régal que de dire « voire même » tout en pensant ce « voire » comme signifiant vraiment ! La baguette à l'ancienne se vendant au prix que l'on sait, le « voire » à l'ancienne a lui aussi le sien.


 
2 novembre 2008

Des accents sur les majuscules


      Certaines personnes pensent que l'on ne met pas d'accent sur les majuscules ; que l'on écrit, et que l'on doit écrire, LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Or on ne voit pas en quoi les accents, ni les cédilles d'ailleurs, seraient moins nécessaires avec des majuscules qu'avec des minuscules.
      Une des origines de cet état de fait, érigé à tort en obligation, pourrait bien avoir été que l'on hésitait à graver les accents dans la pierre. Non que ce fût impossible, mais plutôt par imitation de la langue-mère : les mentions gravés en latin, langue qui ignore les accents, eurent longtemps valeur de modèles. L'exclusion des accents a ensuite été renforcée par l'usage des machines à écrire, heureusement remplacées maintenant par les texteurs de la micro-informatique. Grâce à eux tout est redevenu possible, et les bonnes maisons d'édition font désormais imprimer les À aussi bien que et les É. Les cartes d'identité françaises s'y sont mises pour les patronymes. Seuls quelques banquiers résistent, ignorant sans doute que le moindre accent peut être aussi vital pour l'âme qu'une lettre tout entière.


25 octobre 2008

Professeuse et causeuse


      Alors que « sénatrice » et « directrice » invitent hautement « auteur » à donner « autrice », il est des métiers non dépourvus de prestige pour lesquels on hésite à marquer la féminité : on lit et entend « professeure », « chercheure », « procureure ». Rigoureusement rien, pourtant, ne fait empêchement à « professeuse », ni à « procureuse » ; d'ailleurs « chercheuse » n'est pas rare. Il n'échappe à nul regard attentif que l'on n'a pas de pareilles pudeurs avec « mangeuse »,« buveuse », « fumeuse » ou « causeuse » ; ni avec « voleuse ».
      Il est d'autres états pour lesquels il n'est même pas prévu un « e » final. S'il en était besoin – plût aux dieux, etc. – il n'y aurait pas à se priver d' « assassine », ni d' « escroque ».



11 octobre 2008

Déception


      À côté de l'usage ordinaire de « déception », il en est un qui confine au jargon des stratèges et du Renseignement : le mot y est à peu près synonyme de « tromperie ». Dans cet emploi, c'est un anglicisme, mais un faux, et qui, en dépit de cette qualité, et malgré qu'il ait pour lui une certaine logique, est à rejeter.
       Le verbe latin « decipere », auquel nous devons « décevoir » et « déception », signifiait tromper. Son sens s'est affaibli en français, mais l'anglais l'a maintenu dans « to deceive » et « deception ». Stratèges et espions anglophones ne pouvaient pas ne pas les employer d'abondance. Lors de la Seconde Guerre mondiale, certains Français ramenèrent ce sens perdu de « déception». On le trouve, par exemple, sous la plume de Pierre Nord, dans L'Intoxication, livre qui narre les tromperies de très haut vol de la première moitié du XXe siècle.
      Des spécialistes de la chose militaire et de ses à-côtés tiennent à employer « déception » dans le sens anglais, en essayant de faire valoir qu'il ne désignerait pas tout à fait la même chose que ce bon vieux « tromperie ». Et d'exhiber de pesantes définitions. À d'autres ! Le vernis scientifique ne parvient pas à masquer, en l'occurrence, certaine inféodation mentale.
      Si au moins il était vrai que « tromperie » ne suffît pas pour une expression exacte, ce qui ne peut pas être entièrement exclu, alors faudrait-il y aller franchement. « Décevoir » devrait recevoir un sens supplémentaire, voisin de celui de « tromper ». On voit bien qu'un tel retour aux origines latines, malgré toute la logique qu'y trouveraient les passionnés d'étymologie, ne serait pas praticable.


 
5 octobre 2008

Agente


      Qui osera le premier, ou la première, s'adresser à une policière en tenue (à un policier-femme ? lamentable !) en lui donnant du « Madame l'Agente » ? Il, ou elle, nous racontera.
      Et pourtant médecins et médecines | Reprenons | Et pourtant toubibs et toubibes ont des patients et des patientes. Le patient étant à l'agent ce que la passion est à l'action, à la patiente doit correspondre très analogiquement l'agente.
      Voici une stratégie qui pourrait être appliquée pour pouvoir en venir à dire « Madame l'agente » en toute quiétude. Commençons par d'autres agentes. Il en est dans l'immobilier et dans le matrimonial, qui ne manqueront pas de s'en amuser ; il en est aussi de nombreuses dans la fonction publique et dans les services publics, qui apprécieront sûrement. Imposons partout « agente » jusqu'à ce que les agentes de police, entièrement circonvenues, le demandent d'elles-mêmes.


 
1 octobre 2008

Idéosyncrasie


      Le mot « idéologie » fut vite détourné de son sens propre et il en souffre. Tentons quelque chose pour le sortir de cet état pitoyable.
      Des philosophes français, vers la fin du XVIIIe siècle, avaient entrepris de pousser l'étude de l'esprit humain et de son fonctionnement. Estimant que l'idée est la forme élémentaire de la pensée, ils avaient fort logiquement appelé leur discipline « idéologie ». Les plus connus de ces Idéologues sont, après leur inspirateur Condillac, Volney et Destutt de Tracy.
      Le mot fut repris en Allemagne et en vint à désigner, notamment avec Karl Marx, les conceptions d'ensemble à travers lesquelles une société ou une classe voit le monde et y oriente son action. Puis le sens s'est affaibli et chargé de quelque opprobe : on aime opposer le pragmatisme du patronat et des gouvernants à l'idéologie des syndicats et des opposants.
      Or étudier les idées était une belle idée, et il n'y a plus de mot pour désigner cela. Le plus approprié étant incontestablement « idéologie », il faut le rendre à son sens premier, quoi qu'on dise. Pour désigner les conceptions collectives, qu'elles soient politiques, économiques, religieuses ou autres, lesquelles ne méritent en rien la terminaison « logie » puisque ce ne sont pas des études, on n'a qu'à se rabattre sur « idéosyncrasie », inspiré de «idiosyncrasie ». Ce mot-ci désigne, pour un individu (idios), l'ensemble (syn) de ce qui entre dans sa constitution (crasie). On pourrait dire que la syncrasie, c'est le rassemblement des éléments constituants, ce que n'est pas la logie.


12 septembre 2008

Récession


       Les gens simples croient qu'une économie est en récession lorsque le produit intérieur d'un pays, mesure de la richesse qui s'y produit, diminue. Si les statistiques sont trimestrielles, et si le PIB diminue pendant le premier trimestre d'une certaine année, ces naïfs pensent qu'il y a eu récession au premier trimestre; que cela ne préjuge en rien de la suite; et que tant mieux s'il y a progression ensuite.
       Or les media de masse nous serinent, avec une patience méritoire, que la « définition technique » exige deux trimestres consécutifs pour qu'il y ait récession. N'espérons pas apprendre le nom du technicien de génie qui en a décidé ainsi, et cherchons encore moins à savoir si les media de masse s'interrogent sur ce qu'ils psalmodient; occupons-nous sagement de notre jardin.
       Le problème qui se pose à l'amateur de mots est que le PIB d'un pays pourrait diminuer de 2 % au premier trimestre, puis augmenter de 1 % au deuxième, diminuer à nouveau de 2% au troisième, augmenter encore de 1 % au quatrième, et ainsi de suite. Par les vertus de la définition technique, cet heureux pays ne connaîtrait jamais la récession. Mais comment désigner l'évolution de son produit intérieur, que ce soit sur un, deux, trois, quatre trimestres ou plus ? Très simple : il y a croissance négative.
 
 

15 août 2008

Le premier nombre


       Parlons de ces nombres que l'on dit entiers, en précisant parfois « naturels », c'est-à-dire pas encore encombrés de l'attirail des signes plus et moins. On n'arrive pas à savoir si le premier nombre, historiquement parlant, fut un ou si ce fut deux. Car si un semble plus facile à inventer, « nombre » a dû désigner d'abord la multiplicité, ce qui exclut l'unité. On trouve cela, en tout cas, sous le style d'Euclide, donc tout ce qu'il y a de plus officiellement. Puis un, las de son isolement, fut accepté parmi les nombre. Le mot « nombre » en subit le contre-coup, son sens n'étant plus strictement celui de pluralité. Toujours est-il que un devint premier.
     Les Modernes ont décidé pour leur part que, zéro étant désormais bien admis, ce serait lui le premier, et c'est officiel depuis un siècle. Ce changement peut surprendre, et même déplaire, car zéro est vraiment différent des autres : il ne correspond à rien, il indique une absence. Nous aurait-on refait le coup précédent en pire ? Et cela ne risque-t-il pas de recommencer ? Si – 1 détrônait 0 à son tour, – 2 ne manquerait pas de revendiquer. Autant aller tout de suite au bout et décréter qu'il n'y a plus de premier nombre, que tous sont égaux. Il n'en saurait être question parce qu'on sait d'expérience que certains, de toute façon, s'arrangeraient pour être encore plus égaux.
     Pour calmer nos craintes, d'ailleurs, considérons de petits usages qui nous paraissent naturels et dans lesquels, en regardant bien, on voit zéro dans la position première. Un compte à rebours digne de ce nom va jusqu'à zéro : trois, deux, un... non, pas question que la fusée parte déjà ! Moins moderne maintenant : depuis longtemps les collégiens rencontrent dans leurs problèmes, avec le point P, le point P' et, souvent, leur compère P". Et l'on sait que  « P' » et « P" » se lisent respectivement P prime et P seconde. Si nécessaire, les textes juridiques n'hésitent pas à convoquer ensuite tierce, quarte, quinte et d'autres encore. Comme la prononciation le suggère, P' serait donc le premier, et P" le second. Or c'est P le premier, dans un problème de géométrie qui se respecte. P quoi ? Faut-il dire P zéro, P zéroïque, P zérique ? La question est posée. En attendant une réponse officielle, constatons que cela ne nous dérange guère de voir P' en position seconde, et ce malgré son nom. Ainsi zéro est-il premier en mainte circonstance et un n'est-il alors que le deuxième des nombres entiers soi-disant naturels.

 

2 août 2008

Minute et seconde


      Voici une belle histoire, que l'on ne se lassera jamais de raconter parce qu'elle démontre que les savants ont définitivement versé dans l'illogisme. Comme pour bien d'autres choses, il parut nécessaire un jour de diviser l'heure, non plus seulement en moitiés et en quarts, et même en demi-quarts (on en trouve beaucoup dans les intrigues de Retz), mais en toutes petites parties. On s'inspira du degré des astronomes, qui eux-mêmes suivaient en cela leurs prédécesseurs de Chaldée et de Mésopotamie. Leur division en soixante est effectivement très commode, mais ceci est autre question.
       Les parties du degré et de l'heure issues de leur division en soixante furent tout naturellement appelées des minutes, parce qu'elles sont petites. Ce mot tient lieu de féminin, si l'on peut dire, à notre « minus ». Puis les savants, astronomes en tête, eurent besoin de diviser la minute à son tour. Foin des tiers et des quarts, on la divisa en soixante, et l'on était prêt à recommencer. Les minutes, les minutes de minute, mais aussi les minutes de minute de minute, furent très logiquement appelées minutes premières, minutes secondes, minutes tierces et ainsi de suite. Les coupeurs de cheveux en quatre étaient battus à plate couture. Emportés par leur élan, les savants ne dirent plus « minute seconde », ni « minute tierce », mais seulement « seconde », « tierce »... Hélas ! Dans un virage ils dérapèrent et ne surent pas dire « première ».



17 juillet 2008

Napoléon premier

 
       Est-il mieux d'écrire « Napoléon I » ou « Napoléon Ier» ? C'est plus correct comme ceci, bien sûr, puisque l'on parle de « Napoléon premier » et non de « Napoléon un ».
       Est-il mieux d'écrire « Napoléon III » ou « Napoléon IIIème » ? C'est mieux comme cela, assurément, puisque cela se dit ainsi.
      Pourquoi cette différence ? En fait, aux temps anciens, on écrivait « Louis XII » en tant qu'abréviation de « Louis le douzième ». Le chiffre romain composé XII était alors l'écriture d'un ordinal (douzième) et non d'un cardinal (douze). Puis des gens instruits, croyant reconnaître en XII le nombre douze, prononcèrent « Louis douze », et semblablement pour tous les autres rois de France prénommés Louis à partir du premier, à savoir... Louis II. Les François furent plus à même de résister un tant soit peu : si « François le deuxième » est devenu « François deux », « François premier », bien qu'écrit « François I », est royalement resté « premier ». Cette petite incohérence se retrouve aussi dans certaines tables des matières : chapitre premier, chapitre deux, etc.



22 juin 2008

Classifier


    Depuis un certain temps déjà « classifier » signifie, conformément à l'étymologie, constituer des classes. Le verbe est aussi employé actuellement pour dire d'un document qu'on le classe parmi les documents secrets. Dans ce second sens c'est un décalque de to classify, verbe qui sert à dire classer tout autant que classifier.
     Il est vrai que « classer », employé sans une précision du genre de « secret Défense », est un verbe trop vague ; d'où la tentation de se contenter de détourner « classifier ». Cette solution de facilité est aussi insatisfaisante que pompeuse. Il faut chercher mieux.

 

26 mai 2008

Hybris

 
     Sous la plume de bien des adeptes des humanités modernes, on rencontre un mot que le commun des mortels ignore : hubris. Il désigne l'exaltation orgueilleuse qui s'empare des individus ou des États qu'emplit le sentiment de leur puissance (une de ces démences, sans doute, que les dieux insufflent à ceux qu'ils veulent perdre). Or cette orthographe est impropre.
     Le mot grec d'origine se transcrit, lettre à lettre, ubris. Il commence par un upsilon, voyelle dont on pense qu'elle se prononçait comme le u français mais qui devient systématiquement y dans notre langue. C'est donc plutôt ybris qu'il faudrait écrire. Mais en outre, tout upsilon initial est surmonté (en principe) d'un signe appelé esprit rude, ce que l'on traduit en plaçant un h en tête. En vertu de ces règles, de même que upo et uper donnent respectivement nos préfixes hypo (en dessous) et hyper (au-dessus),ubris donne hybris.

 

3 mai 2008

De Montrichard en Bourgneuf


     La composition de noms tels que Montrouge ou Montrond est si transparente qu'il ne viendrait à personne l'idée de les prononcer mon-trouge et mon-tron. Il faut pourtant souffrir qu'en pays de Loire, sur les bords mêmes du doux-coulant Cher, Montrichard soit prononcé mon-trichar. La perte du sens n'y a même pas l'excuse d'un quelconque agrément sonore. Faut-il s'étonner, après cela, d'entendre Bourgneuf prononcé bour-gneuf ?
 

16 avril 2008

Les clés de la modernité


     À suivre l'actualité, l'époque ne manque ni de moments-clés, ni de postes-clés, ni de personnages-clés (mais qu'est donc le personnage-clef devenu ?). Si ces désignations sont bien conçues comme des mots composés, notre modernité ne se distingue guère des autres sur ce point : il y a belle lurette que l'on connaît les timbres-poste et les hommes-sandwichs. Chacun comprend que l'homme-sandwich n'est ni un lord joueur, ni même un îlien, et nul ne s'offusque de la construction verbale. Cette union de noms communs est rendue nécessaire par l'absence d'un adjectif. Qui se risquerait à évoquer un homme sandwichique, sandwichal ou sandwichesque ?
     Il est permis de s'inquiéter, en revanche, devant la progression de l'écriture « homme clé », que viennent rejoindre « cellule souche » et bien d'autres. Car s'il ne s'agit pas de mots composés, il nous faut conclure que le nom « clé », tout comme « souche », est employé comme s'il s'agissait d'un véritable adjectif. Le parfum de la transgression grammatical serait-il donc si entêtant ? Ceux qui méprisent les traits d'union devraient savoir tirer les conséquences de leurs choix. Conformément aux règles de l'honnêteté ils devraient parler d'un homme clavique, d'une cellule souchaire, etc. S'il en allait ainsi, nous condescendrions à faire preuve d'une certaine tolérance en retour, au moins à l'égard de « rose bonbon ».

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