Voire même
Les gens cultivés
ne confondent pas « voir » avec « voire », et
les gens très cultivés se reconnaissent, entre autres, à ce qu'ils
évitent « voire même » ; les traités des bons usages
nous rappellent, en effet, que c'est un pléonasme. Une fois ceci
retenu, et pour ne être pris pour dernier des ploucs, on parsème
ses propos, et sourtout ses écrits, d'élégants « voire ».
Lorsque, non
content de passer pour un esprit très cultivé, on cultive un
certain mauvais esprit, on en vient à s'interroger sur ce mot, qui
se termine par un e
dont les érudits nous apprennent qu'il ne l'avait pas en ancien
français, et dont on ne sait pas de quel mot courant on pourrait le
rapprocher si ce n'est du verbe « voir ».
D'éminents étymologues expliquent que « voire » vient
du latin « verus »,
qui a surtout engendré « vrai ». En fait, « voire »
fut d'abord utilisé en adverbe, comme synonyme de « vraiment ».
Puis, au cours des siècles, ce sens s'est perdu et a été remplacé
par celui de « et même ».
Comme il ne saurait
être question de passer pour incultes, évitons donc « voire
même ». Mais que serait un monde dans lequel les règles ne
connussent point d'exceptions ? Dans les occasions où l'on
choisirait de passer pour inculte aux yeux des cultes, quel régal
que de dire « voire même » tout en pensant ce « voire »
comme signifiant vraiment !
La baguette à l'ancienne se vendant au prix que l'on sait, le
« voire » à l'ancienne a lui aussi le sien.