Kilogone et Irak
Qui se plonge dans les Méditations métaphysiques
sait que, au début de la sixième, Descartes évoque l'idée du pentagone,
c'est-à-dire d'un polygone ayant cinq côtés et donc cinq sommets.
Afin de bien montrer qu'imaginer est une chose et que concevoir en
est une autre, il confronte cette idée à celle du chiliogone,
c'est-à-dire d'un polygone à mille côtés.
Plutôt que « chiliogone », il arrive que les éditeurs choisissent d'écrire « chilogone », sans doute pour se rapprocher de
« kilogone », graphie qui nous paraît plus normale. Or
l'origine est bien le mot grec « chilioi », mille. Le ch
y est dur : il se prononce k,
comme dans « charisme », « chiromancie » et
« chiral » ; « chirurgien » et « chimie »
n'étant que de regrettable déviances.
L'écriture « chiliogone » est donc la plus conforme à l'étymologie
et « chilogone » sent l'hésitation. Une modernisation en « kilogone » relèverait, quant à elle, du plus parfait
laisser-aller, ou alors d'un esprit révolutionnaire achevé. Les inventeurs du système métrique, dans leur volonté de décimaliser
toutes les mesures, choisirent manifestement une graphie compréhensible par tous. Ils utilisèrent '' k ''
pour traduire le '' ch '' dur, le bon vieux chi.
Au moins eussent-ils dû écrire « kilio ». Le préfixe
« kilo » se trouve ainsi être infidèle au grec, et par le '' i ''
manquant avant le '' o '', et par l'intrusion du '' k ''.
En sens inverse, on voit maintenant le '' k '' de certains noms
évincé par un '' q ''. On sait bien que la langue latine et ses
dignes filles font toujours suivre un '' q '' par un '' u '' ; un mot
comme « cinq » n'étant qu'une apparente exception puisqu'il
vient de « quinque ». Or il s'observe que « Irak » est parfois écrit « Iraq », à l'anglaise ; et que « al-Kaïda »
est assez systématiquement écrit « al-Qaïda », à la rien du tout, juste pour la touche d'orientalité. Ces substitutions
antilatines ne vengent certes en rien le grec de la double infidélité faite à « kilo ».