On parle d'Athéna
aux yeux pers, mais jamais de Minerve aux yeux pers. Comment sait-on, d'abord,
qu'Athéna a les yeux pers ? Pers, c'est-à-dire d'un bleu sombre et
tirant vers le vert, à ce que l'on dit. Les dictionnaires nous
apprennent que ce mot vient de « persan ».
Il qualifierait un certain bleu, comme il y a aussi un bleu de
Prusse. Pourquoi Athéna n'aurait-elle donc pas les yeux prus
? Et surtout, que viennent faire les Persans à propos des yeux d'une
déesse née bien avant leur première chabanou ?
Les érudits nous
aident. Athéna est dite glaucopide dans les textes grecs. De
glaucos et d'ops.
La seconde racine désigne les yeux en tant que regardant
; mais que signifie la première ? C'est là que
quelque chose se noue. Glaucon est un des mots qui désignent la mer, à côté de thalassa.
Le propre de glaucon est de l'évoquer dans son aspect coloré. Comme la changeante mer, le mot a pris deux sens différents : il peut
vouloir dire brillant,
mais également bleu-vert
sombre. Ce deuxième sens est passé dans notre
adjectif « glauque »
qui évoque bien le côté sombre, un peu inquiétant de la mer. En
grec, ce n'est que l'un de ses sens.
Plongens-nous dans la mer des
mots grecs. On y trouve aussi le nom glaux,
qui désigne, étrangement, l'oiseau d'Athéna : la chouette.
L'explication, en fait, part de là. Athéna est dite par Homère
« aux yeux de chouette » parce que cet animal, voyant la
nuit, perce les ténèbre de son regard. Or l'esprit d'Athéna en
perce des ténèbres. C'est donc très compréhensiblement qu'elle
fut qualifiée de glaucopide, de clairvoyante. L'adjectif utilisé,
glaucos,
faisait allusion aux yeux de l'animal parce qu'il leur était attribué
d'être brillants, comme la mer sous le soleil, et que cette
brillance était censée expliquer leur vertu nocturne. Héra, semblablement,
est dite aux
yeux de génisse, par allusion à leur douceur.
Il faut croire
que quelque traduction fit basculer de brillant à bleu-vert le sens
attribué au glaucos
présent dans « glaucopide ». Athéna devint ainsi une
déesse aux yeux bleus. Mais pas n'importe quel bleu : un de ceux qui
devaient être à la mode à l'époque de la traduction : un bleu de
Perse, disait-on sans doute. Le mal était fait ; on n'y vit plus
clair du tout. Le traducteur, faut-il croire, était bien puissant
pour influencer toute l'Europe et tous ses humanistes. La bonne
déesse n'aurait-elle pas eu des ennemis bien en place ? Sa
clairvoyance ne faisait-elle pas de l'ombre à quelque autre dieu ?
Minerve, de son
côté, ne pouvait être glaucopide parce que ce jeu de mot est
intraduisible en latin. Voilà pourquoi elle n'a pas les yeux pers.